Les communautés d'apprentissage de Yaoundé et de Libreville

Qu'est-ce qu'une communauté d'apprentissage (CoA)?

Nous retenons la définition de Bielaczyc et Collins (1999, p. 271) pour qui la communauté d'apprentissage est une communauté qui d'abord poursuit un but d'avancement du savoir collectif. Une communauté dans laquelle se manifeste une culture d'apprentissage où tout un chacun participe à un effort collectif de compréhension sur un objet donné. Cette culture d'apprentissage se caractérise par la diversité d'expertise des membres de la communauté, par un objectif partagé d'avancement du savoir collectif, par une attention particulière de ses membres accordés à leur processus d'apprentissage et par l'instauration de mécanismes pour partager ce qui a été appris. C'est par l'entremise de ces processus collectifs que se fait l'apprentissage individuel.  

Le contexte

À l'intérieur d'un programme de master conjoint appuyé par l'Agence Universitaire de la Francophonie entre l'Université Laval, l'École normale supérieure de Yaoundé et l'École normale supérieure de Libreville, des étudiants de Yaoundé et de Libreville ont participé à un cours de technologie éducative. Le cours en question a amené les étudiants à réfléchir autour de la problématique de l'intégration du microordinateur à l'enseignement, et ce, en regard à leur propre contexte de pratique. Ainsi, ces étudiants, pour la grande majorité, enseignants d'expérience ou acteurs exerçant diverses fonctions au sein du système éducatif, ce sont penchés sur cette problématique en pleine connaissance du contexte.

Des approches d'apprentissage hybrides

Avant d'aborder le cours à travers ses objectifs poursuivis et le déroulement de ses activités, il est intéressant de décrire les formules pédagogiques et les modèles d'enseignement qui ont été mobilisés et qui surtout, le caractérisent. Étant donné qu'il s'agissait d'un cours de technologie éducative, il était tout indiqué de mettre les technologies de l'information et de la communication au service de cette activité de formation. Pour ce faire, la professeure Thérèse Laferrière a opté pour des approches d'apprentissage hybrides ( blended-learning ). Par approches hybrides, nous entendons la mobilisation d'outils d'apprentissage diversifiés (Singh, 2003, p. 51). Comme il en fut question dans le déroulement de ce cours, les étudiants ont bénéficié de rencontres et de cours en présentiel par l'intermédiaire de la vidéoconférence ( Skype ) avec la professeure Laferrière, de l'accompagnement technique et pédagogique en face à face par un assistant d'enseignement envoyé sur place, d'un environnement de coélaboration de connaissances ( Knowledge Forum ) permettant des activités asynchrones et de l'accompagnement de toute l'équipe d'enseignement à travers le forum pour la progression du discours collectif. La mixité des approches a entre autres encouragé la collaboration entre les participants par la mise à disposition d'un environnement d'apprentissage conçu à cet effet et a permis un dialogue continu entre les membres des communautés d'apprentissage (les groupes de Yaoundé, de Libreville et l'équipe de formateurs de l'Université Laval) qui voyaient le jour.

Les objectifs du cours

Le cours s'articulait autour de trois objectifs principaux. Dans un premier temps, il était nécessaire de construire collectivement la problématique. Ensuite, il s'agissait d'amener les étudiants à développer des plans d'action adaptés à leur contexte de pratique. Enfin, dans le but d'assurer la pérennité de l'effort collectif instauré dans le cadre du cours, il s'agissait d'encourager la mise sur pied d'une communauté de pratique en réseau (CoPeR) qui poursuivrait ses activités.

Choisir un contexte d'analyse, définir un plan d'action

Voici des exemples de projets d'innovation autour desquels les étudiants ont été amenés à analyser les contextes dans lesquels ces projets s'inscrivent et à proposer des plans d'action.

  • Créer un espace numérique d'échange dans un domaine particulier entre des classes appartenant à des établissements différents.
  • Au regard de la théorie des communautés de pratique de Wenger (1998), élaborer une plate-forme numérique en ligne destinée aux enseignants pour qu'ils puissent partager leurs pratiques, leurs expériences et leurs ressources dans un domaine disciplinaire (français, science, mathématiques, histoire, etc.).
  • Développer une tribune numérique d'échange pour que les enseignants, les conseillers d'orientation et les élèves coconstruisent des savoirs dans le domaine de l'histoire.
  • Promouvoir l'utilisation des ressources numériques et former les enseignants à cet effet pour améliorer l'enseignement/apprentissage des mathématiques et des sciences au niveau secondaire.
  • Créer un centre virtuel de documentation et d'information d'un lycée.
  • Mettre sur pied une plate-forme d'échange entre enseignants autour de l'approche pédagogique par les compétences (APC) dans une perspective de formation continue.
  • Réaliser des activités d'intégration du téléphone portable dans le processus d'enseignement/apprentissage au sein d'une classe de lycée.
  • Mettre en ligne un site web d'information en orientation professionnelle pour les élèves d'un établissement secondaire.
  • Créer une bibliothèque numérique pour un établissement.

Ce ne sont que quelques exemples de projet d'innovation élaborés par les étudiants des communautés d'apprentissage de Yaoundé et de Libreville.

La construction collective de la problématique

Avant l'élaboration des plans d'action, il était d'abord nécessaire de construire la problématique par le couplage des perspectives locale et internationale. Bien que les étudiants soient familiers avec les conditions locales où prendrait racine un tel projet d'innovation impliquant l'intégration du microordinateur à l'enseignement, il s'agissait maintenant pour eux d'explorer les théories élaborées sur ce sujet et les pratiques internationales qui en découlent.

C'est en se servant des conditions d'innovation selon la Société Internationale pour les Technologies en Éducation (ISTE) que les étudiants ont analysé leur contexte d'action et construit leur plan d'action. Voyons maintenant ce qui se dégage du processus de coélaboration des savoirs effectué autour des conditions d'innovation de l'ISTE par les étudiants des communautés d'apprentissage de Yaoundé et de Libreville.

Les conditions d'innovation de l'ISTE au regard des contextes éducatifs du Cameroun et du Gabon

Le descriptif de chacune des conditions a été élaborée à l'aide du document ISTE Essantials Conditions, le document traduit Les 14 conditions d'innovation de l'ISTE et les contributions des étudiants au sein du Knowledge Forum.

Vision partagée

Comme dans tout projet d'innovation, la réussite d'un projet d'implantation de TIC dans un contexte pédagogique nécessite que les différents intervenants partagent une vision commune de celui-ci. Pour ce faire, il faut que les acteurs (les enseignants, le personnel de soutien, l'école et ses administrateurs, les formateurs d'enseignants, les étudiants, les parents et la communauté), toutes les parties prenantes au projet, participent collectivement au développement de cette vision par la communication de leurs attentes en vue de les harmoniser. Le manque de vision partagée s'exprime entre autres à travers la présence d'incohérence dans les plans d'action et dans leur exécution.

En abordant la condition d'innovation de l'ISTE autour de la vision partagée, les étudiants se sont servis de ce contexte de réflexion pour eux-mêmes commencé à élaborer leur propre vision de leur plan d'action par l'entremise de la discussion et de la négociation.

Pour les étudiants des groupes de Yaoundé et de Libreville, un processus de négociation entre les acteurs pour arriver à une vision partagée est un élément essentiel pour la réalisation et la pérennisation du projet. C'est pour eux l'un des préalables à l'élaboration du plan d'action et un élément à considérer dans la recherche des sources de financement.

Il est primordial pour les initiateurs du projet d'être capable de communiquer concrètement leur vision du projet et d'ouvrir celle-ci au dialogue avec les autres acteurs. Cette vision partagée doit, à travers un processus de négociation, tenir compte de la pluralité des représentations des différentes parties prenantes (mentionnées plus haut). Ainsi, à travers cette démarche, les attentes, les inquiétudes et les risques sont mis en commun afin que le projet puisse être élaboré en prenant en considération les différentes perspectives. Il faut dire que cette vision est dynamique et que son processus de construction est enrichi par la diversité des points de vue. Le consensus est toujours visé, mais n'est pas figé.

Selon ces professionnels de l'éducation en formation, ce processus pour l'atteinte d'une vision partagée doit également reposer sur des questionnements d'ordre épistémologique et social. Quel type de société voulons-nous? Quelles valeurs voulons-nous communiquer?  Quelles compétences voulons-nous développer chez les élèves et les enseignants? Quels savoirs endogènes, scientifiques ou non scientifiques voulons-nous que les élèves apprennent?

Tant de questions qui nécessitent la participation de l'ensemble des parties prenantes au développement de la vision partagée et plus tard à une implication directe dans les actions qui seront posées.

Ainsi, pour les étudiants, le Cameroun et le Gabon doivent viser la construction d'une vision locale qui, tout en s'en inspirant, se distinguerait des perspectives internationales, par sa spécificité propre à son contexte et à la communauté impliquée.

Leaders à qui on confie une responsabilité d'agir

Pour que le projet d'innovation soit effectif, il est nécessaire qu'à tous les niveaux, les acteurs soient habiletés à être des leaders afin de susciter le changement visé. Cette capacité d'agir engendre également des responsabilités. Les acteurs doivent ainsi coordonner leur sphère d'action pour promouvoir et soutenir une utilisation pédagogique des TIC en adéquation avec leur vision partagée.

Les discussions autour de cette condition de l'ISTE ont permis aux étudiants de lier celle-ci à des problèmes survenus lors de l'implantation de certaines réformes. Ils ont évoqué comme cause possible le fait qu'il est rare que les décideurs, les enseignants et les parents s'asseyent pour donner sens aux réformes. À travers leurs échanges à l'intérieur du Knowledge Forum, les étudiants sont parvenus à dresser un portrait plus défini des leaders qui seraient impliqués à l'intérieur d'un projet d'innovation prenant racine au Cameroun ou au Gabon. D'une part, les leaders au sein d'un projet d'innovation ne sont pas nécessairement des chefs hiérarchiques. Ils peuvent se trouver à tous les niveaux. Ce sont eux qui incarnent la vision, la communiquent et font en sorte que tous les acteurs collaborent à son développement. D'autre part, les leaders doivent valoriser une décentralisation des actions posées pour parvenir à la réussite du projet d'innovation, l'action en réseau doit être encouragée. Les acteurs disposant d'une capacité d'action propre à leur sphère doivent également mutualiser leurs efforts, leurs compétences, leurs ressources et leurs pouvoirs dans les opérations et la définition des orientations du projet.

Plan de mise en œuvre

Toujours à partir de la vision partagée du projet par les acteurs y prenant part, un plan systémique d'implantation doit être élaboré. Ce plan qui harmonise les actions et les visions des acteurs a pour but de rendre efficiente l'utilisation des TIC à des fins d'enseignement et d'apprentissage.

Collectivement, les étudiants voient le plan de mise en oeuvre comme un plan systémique réaliste et réalisable centré sur les actions collectives et individuelles à conduire. Pour éviter de naviguer à vue, anticiper les difficultés administratives et faciliter la gestion des imprévus, le plan de mise en oeuvre doit favoriser des actions méthodiques et concertées entre tous les acteurs impliqués. Les étudiants ont souligné que l'élaboration du plan de mise en œuvre repose sur la vision partagée. En effet, il est préalable de définir collectivement les finalités (par exemple, l'amélioration du processus d'enseignement/apprentissage), d'identifier les actions prioritaires et d'effectuer une analyse pour juger de la pertinence des visées et des actions du projet d'innovation.

À la lumière des discussions des étudiants, il nous est désormais possible d'arriver à une proposition de canevas d'un plan de mise en œuvre :

  • Pourquoi cette innovation? Les objectifs formulés au sein de la vision partagée.
  • Pour qui? Les destinataires du projet.
  • Qui fait quoi? Les acteurs impliqués et les actions à poser.
  • Quand? La période durant laquelle se déroulera le projet et ses différentes étapes.
  • Où? Le contexte.
  • Comment? Les opérations à mener.
  • Avec quoi? Les moyens et les ressources qui seront mis à la disposition des acteurs.

Financement régulier et adéquat

Pour un projet d'innovation pérenne, les infrastructures technologiques, le personnel, les ressources numériques et le développement professionnel doivent bénéficier d'un financement régulier et adéquat. Ce financement doit se faire tout au long de l'implantation du projet et pourrait se poursuivre au-delà de cette étape pour assurer la continuité des opérations.

Cette condition de l'ISTE sur le financement régulier et adéquat du projet a suscité de riches échanges sur ce sujet. Dans un premier temps, les interventions avaient principalement pour objets les difficultés locales rencontrées. Ainsi les étudiants ont relevé certaines causes potentielles de cette précarité du financement :

  1. Les projets sont mal montés.
  2. Les intérêts individuels prévalent sur les intérêts collectifs.
  3. Il règne un certain pessimisme auprès des collègues enseignants et autres acteurs impliqués.
  4. L'absence de vision partagée entre les instances politiques et les acteurs locaux.
  5. L'absence de leader.
  6. Il y a des lourdeurs administratives liées au financement étatique.

Néanmoins, malgré ces nombreuses difficultés relevées, à travers leurs échanges sur le forum, les étudiants sont parvenus à coélaborer des pistes de solutions pour chacun de ces éléments problématiques pour assurer le financement régulier et adéquat de leur projet.

  1. Le projet doit être pertinent, convaincant et bien monté par un alignement aux conditions de l'ISTE.
  2. Il faut d'abord et avant tout mettre de l'avant l'intérêt collectif du projet en exposant les retombées sociales possibles autour des enjeux économiques, socioculturels et éducatifs.
  3. S'assurer de la participation de tout un chacun pour le développement de la vision partagée.
  4. S'assurer de développer une vision avec les instances politiques et leurs représentants.
  5. Se constituer soi-même en leader.
  6.  Il ne faut pas que le financement repose uniquement sur l'État. Il est souhaitable d'établir des partenariats avec d'autres acteurs locaux, nationaux ou internationaux.

En ce qui concerne ce dernier élément, les communautés d'apprentissage de Yaoundé et de Libreville ont discuté longuement des sources de financement possible. Les bailleurs de fonds extérieurs sont à considérer, non pas uniquement pour les ressources financières, mais pour le partage des expériences. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la vision doit être développée autant que possible localement. Bien que dans les deux systèmes éducatifs le financement et sa gestion relèvent majoritairement de l'État, toutes les parties prenantes au projet peuvent contribuer à celui-ci par la mutualisation de ses ressources (humaines, financières, matérielles ou autres). La transparence est de mise pour l’ensemble des acteurs impliqués.

Accès équitable

Il est attendu que tous les acteurs du milieu d'implantation (élèves, enseignants, personnels de soutien et administrateurs) disposent d’un accès constant et fiable aux technologies et aux ressources numériques actuelles et émergentes.

Pour les communautés d'apprentissage de Yaoundé et de Libreville, cette condition d'innovation en matière d'accès équitable peut poser problème. Bien qu'ils soient d'avis que tous les acteurs doivent, de manière égale, disposer du matériel nécessaire, selon eux une condition sine qua non au processus d'innovation, ils ont relevé plusieurs facteurs d'inégalité :

  • Les infrastructures électriques dans les établissements scolaires posent problème surtout en milieu rural (quoiqu'il peut y avoir des délestages fréquents en milieux urbains).
  • Certaines zones manquent de ressources (humaine, financière et matérielle) à cause de leur isolement.
  • Les solutions pour une connexion à l'Internet sont chères. De plus, la couverture du territoire n'est pas complètement assurée ou les services y sont rudimentaires et instables.
  • L'état a des priorités en matière d'équipement des institutions (les administrateurs avant les enseignants et les enseignants avant les élèves).

Tout au long de leurs échanges, en identifiant les facteurs d'inégalité, les étudiants collectivement proposaient des solutions pour amenuiser cette disparité possible entre l'accès aux TIC des différents acteurs. D'abord, il ne faut pas se décourager à mener nos actions parce qu'elle ne peut pas se transférer à tous les contextes. En partant d'un projet réussi à l'échelle micro, il est possible que les acteurs politiques allouent davantage de ressources pour son extension à une plus grande échelle. Il est également envisageable de faire appel aux parents et aux élites locales pour permettre l'installation d'infrastructures électriques et réseautiques adéquates. Une pratique qui est fréquente au Cameroun où, dans certaines communautés, les parents contribuent financièrement à la mise en place d'une salle multimédia ou d'un groupe électrogène par l'entremise d'un versement annuel. Comme certains étudiants l'ont soulevé en citant en exemple la couverture des réseaux cellulaires et la mise en place des salles multimédias dans les établissements scolaires, il s'agit d'abord et avant tout d'un problème de priorité, d'organisation et de gestion des ressources.

Personnel qualifié

Il est nécessaire que les enseignants, le personnel de soutien ou tout autre leader impliqué dans le projet d'innovation soient habiletés à choisir et à utiliser efficacement les ressources technologiques à l'égard de leurs activités. Au moyen de formations pédagogiques et techniques, ce personnel doit être qualifié pour intégrer adéquatement les outils technologiques à leurs pratiques d'enseignement et aux situations d'apprentissage.

Au regard de leurs contributions au sein du forum, nous pouvons dire que les étudiants considèrent comme compétent un enseignant en matière d'utilisation pédagogique des TIC lorsque celui-ci est non seulement capable de les utiliser, mais est aussi capable de déterminer dans quel contexte les utiliser, dans quel environnement les utiliser, comment les utiliser, qui les utilisent (l'enseignant ou les élèves) et à quelles fins les utiliser. Autrement dit, il ne faut pas uniquement viser l'alphabétisation technologique des enseignants, mais aussi les former l'utilisation des TIC en contexte disciplinaire afin que celles-ci servent à l'approfondissement des connaissances. Cette finalité implique néanmoins que les formations encouragent une réflexion épistémologique et préparent les enseignants aux changements.

Les étudiants des deux communautés d'apprentissage ont proposé différents moyens pour y parvenir. Le premier moyen consiste à s'assurer que les institutions comme les Écoles Normales Supérieures (ENS), les Écoles Normales Supérieures d'Enseignement Technique (ÉNSET) et les Écoles Normales d'Instituteurs de l'Enseignement Général (ENIEG) offrent ce type de formation tant dans une optique de formation initiale que continue. Outre ces institutions, il devrait y avoir d'autres contextes d'échange et de développement professionnel comme les séminaires pédagogiques, les réunions départementales ou les réunions de l'inspection générale. Bref, les étudiants sont d'avis qu'il soit nécessaire d’encourager l'apprentissage des enseignants tant dans les contextes formels, informels ou non formels. Cela implique même qu'ils peuvent apprendre des élèves.

Formation professionnelle continue

Des plans de développement professionnel en lien avec les technologies doivent être élaborés dans le but de permettre aux acteurs de s'exercer à leur utilisation et de leur offrir un contexte de partage de leurs expériences et de leurs pratiques. La mise en place de structures plus formelles peut supporter ce processus par la mise à disposition de ressources informationnelles, l'utilisation d'outils de communication permettant le réseautage des acteurs, la participation au sein de communautés de pratiques, etc.

En ce qui a trait à la formation continue des enseignants en fonction, les étudiants ont relevé quelques problèmes. Premièrement, ils considèrent qu'il y a un manque de formation sur le terrain. Deuxièment, les thèmes de ces formations, en plus d'être récurrents, ils ne font pas toujours consensus, car ils ne sont pas nécessairement alignés avec les besoins du contexte. Finalement, les instances ministérielles responsables de la formation continue des enseignants ne disposeraient pas des ressources suffisantes pour assurer à elles seules le développement professionnel continu des enseignants.

Pour les étudiants, la professionnalisation de l'enseignement passe par le développement d'une culture collaborative. En tenant compte de leurs lectures et des conversations avec Etienne Wenger qui eurent lieu lors d'un événement organisé par le Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), certains étudiants en sont venus à proposer la mise en place de communautés de pratique (Wenger, 1998) pour pallier ces problèmes de formation continue. Regroupés autour de leurs pratiques disciplinaires communes, les enseignants bénéficieraient d'une structure leur permettant de discuter, d'échanger leurs expériences, de partager leurs ressources et ultimement de coélaborer des artéfacts.

Soutien technique

Afin d'encourager, de soutenir et de renouveler les utilisations des outils technologiques et des ressources numériques d'apprentissage, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes d'assistance fiables et constants.

Les communautés d'apprentissage de Yaoundé et de Libreville considèrent souhaitable d'instaurer des partenariats avec des institutions locales comme l'Institut Africain d'Informatique ou l'Agence Universitaire de la Francophonie via l'expertise dans ses campus numériques. Bien que des partenariats à long terme seraient visés, pour eux, il est important que cette collaboration inclue un volet de formation des enseignants permettant ainsi de réduire la dépendance technique des écoles.

Cadre du curriculum

Pour assurer la réussite d'un projet d'innovation, il est nécessaire que celui-ci soit cohérent au curriculum. Il est nécessaire que les contenus standardisés des programmes de formation ainsi que les ressources numériques qui en découlent soient alignés et intégrés au processus de développement des compétences d'apprentissage et de travail relatives à l'ère numérique.

À ce sujet, les étudiants de la communauté d'apprentissage de Yaoundé ont fait les remarques suivantes : l'enseignement des TIC est bel et bien prévu au sein des curricula néanmoins, l'utilisation des TIC n'est pas encore intégrée dans le processus d'enseignement/apprentissage. Dans les établissements scolaires, on y apprend comment utiliser les TIC, mais on ne les utilise pas nécessairement pour réaliser des apprentissages ou enseigner les autres disciplines. Pour les étudiants, il doit y avoir davantage d'effort par tous les acteurs du système afin d'aligner les ressources numériques aux TIC, et ce, au niveau disciplinaire. C'est ainsi que la communauté d'apprentissage a fait la promotion de l'interdisciplinarité afin de décloisonner les disciplines pour optimiser les apports de chacune d'elles aux objectifs d'apprentissage de l'autre. Comme il en serait le cas des compétences d'utilisation des TIC. Pour y arriver, ils recommandent une plus grande flexibilité des curricula, à tous les niveaux, pour que les enseignants puissent établir ces contextes d'apprentissage interdisciplinaire et amener les élèves à devenir des producteurs de savoirs.

Concentration sur l’apprentissage de l’élève

La planification des activités d'apprentissage, l'enseignement, l'évaluation, mais aussi toutes les opérations du plan de mise en œuvre du projet doivent avoir pour fondements les besoins et les compétences des élèves.

Cette dimension a été abordée par les étudiants non pas dans le sens des finalités poursuivies par les acteurs dans l'exercice de leur rôle, mais surtout dans l'angle de l'approche pédagogique centré sur les apprentissages à l'échelle de la classe. Pour les étudiants, ces approches pédagogiques centrées sur les apprentissages des élèves comportent plusieurs éléments. D'une part, ces approches impliquent de tenir compte des expériences et de l'environnement social des apprenants. Aussi, le développement de l'autonomie des élèves doit être valorisé dans différents projets de productions que ceux-ci auraient à réaliser. Pour s'harmoniser avec l'autonomie dont bénéficient les élèves, les enseignants joueraient le rôle de guide, de médiateur et d'organisateur des processus de construction des savoirs. Cette approche centrée sur les apprentissages des élèves impliquerait également pour les communautés de Yaoundé et de Libreville que l'enseignant donne la possibilité aux élèves d'interagir avec les autres personnes de leur environnement éducatif.

Cependant, tout en échangeant autour de cette condition d'innovation de l'ISTE en matière d'intégration pédagogique des TIC et en coconstruisant leur compréhension de celle-ci, ils ont tout de même soulevé quelques difficultés qui seraient liées à l'opérationnalisation d'une telle approche au sein de leurs systèmes éducatifs. Tout d'abord, ils évoquent la possibilité qu'une approche centrée sur l'apprenant puisse être considérée comme un problème pour certains enseignants qui y verraient plutôt une perte de leur autorité. Ensuite, selon eux, pour que la combinaison entre une approche centrée sur les apprentissages et l'utilisation des TIC soit effective et réussie, il serait nécessaire que chaque élève dispose d'outils et de ressources numériques, ce qui pour eux nécessiterait beaucoup de ressources. Finalement, pour les étudiants des communautés de Yaoundé et de Libreville, l'opérationnalisation en classe de cette condition de concentration sur les apprentissages des élèves conviendrait mieux à des groupes de petite taille ou des groupes respectant les standards mis en avant par l'UNESCO. Dans de tels contextes, les étudiants jugent plus aisé pour l'enseignant de s'attarder sur les besoins individuels des élèves et de leur accorder plus de temps. Les effectifs pléthoriques de certaines classes au Cameroun et au Gabon rendraient complexe cette approche.

Contrôle et évaluation

Pour réguler les opérations, s'assurer de leur alignement à la vision initiale et contribuer à faire évoluer celle-ci, il est primordial d'établir des processus continus d'évaluation de l'enseignement, de l'apprentissage, du leadership et des utilisations des TIC et des ressources numériques.

Les participants aux discussions sur le forum sont d'avis que l'appréciation continue et l'évaluation sont essentielles, à la fois au niveau du processus d'enseignement/apprentissage qu'au niveau de l'opérationnalisation du projet. L'appréciation et l'évaluation ne se limitent donc pas à l'élève et ses apprentissages, mais s'étendent à l'ensemble des acteurs du projet d'innovation, maillons de cette chaîne d'action. L'évaluation considérée comme un processus continu et permanent de bilan permet ainsi de réorienter et préciser les actions. Afin que soient formulées des rétroactions, il est nécessaire qu'au préalable, les objectifs d'apprentissage et les indicateurs de réussite du projet soient clairement établis.

Communautés engagées

L'implication de la communauté dans le projet d'innovation sous la forme de partenariats et de collaboration est une autre dimension déterminante. Les communautés peuvent soutenir et financer l'utilisation des TIC et des ressources d'apprentissage numériques. Par communauté, il est entendu, une communauté élargie incluant une pluralité de parties prenantes comme les parents, les universités, les décideurs politiques, les municipalités, les acteurs économiques locaux, etc.

Plusieurs des participants de la communauté d'apprentissage de Yaoundé ont vu un rapprochement possible entre cette condition selon l'ISTE et le concept de communauté éducative découlant de la troisième stratégie pour le développement de l'éducation élaborée dans le cadre du Forum mondial sur l'éducation de Dakar (2000) : « Faire en sorte que la société civile s'investisse activement dans l'élaboration, la mise en oeuvre et le suivi de stratégies de développement de l'éducation ». Ainsi, pour les étudiants, la communauté éducative implique à la fois les intervenants directs (parents, enseignants, personnels de soutien et administrateurs) et les intervenants indirects (commune, société civile et les décideurs). Selon les discussions des étudiants, c'est entre autres de cette vision qu'ont été créés les conseils d'établissement réunissant ces différents intervenants. Comme l'ont soulevé les étudiants, il est important de développer une vision systémique du projet où chaque intervenant est soucieux de sa responsabilité et de son rôle. Pour arriver à proposer des solutions, les étudiants se sont inspirés des concepts de l'engagement mutuel et de la négociation de sens de la théorie des communautés de pratique de Wenger (1998). Le manque d'implication de l'ensemble des intervenants ayant été identifié comme un important facteur de lassitude des acteurs, ils proposent d'engager l'ensemble des partenaires prenant part à leur projet aux processus décisionnels.

Politiques de soutien

Une autre condition cruciale d'innovation selon l'ISTE est l'instauration de politiques, de plans financiers, de mesures de reddition de compte et de structures incitatives qui soutiendront l'utilisation des TIC en contexte de classe ou au sein des opérations de l'administration scolaire.

La condition de l'ISTE à l'égard des politiques de soutien a été abordée sous différents angles à l'intérieur des communautés d'apprentissage de Libreville et de Yaoundé. Pour certains, ces politiques de soutien renvoient aux mesures de financement. Pour d'autres, il s'agit des rôles de la communauté d'acteurs chargés de l'entreprise commune ou bien de l'implication des autorités compétentes et des partenaires. Néanmoins, tous s'entendent que celles-ci concernent la mise en place de mesures pour encourager les opérations et garantir la pérennité du développement du projet. Ces politiques de soutien doivent intégrer tous les aspects de l'innovation. En plus de l'élaboration de plans financiers qui détermineraient la manière dont les investissements seraient effectués et l'instauration de mesures de reddition de compte qui assureraient une saine gestion du projet, ce type de dispositions doit également être instauré au sein de la sphère pédagogique.

À l'intérieur de la communauté d'apprentissage de Yaoundé, les étudiants ont identifié plusieurs politiques de soutien qu'ils jugent favorables pour parvenir à un accès équitable aux TIC dans le système éducatif :

  •    En 2001 au Cameroun, le gouvernement a instauré des politiques douanières en matière d'importation exonérant les équipements informatiques de plusieurs taxes.
  •    En 2003, la construction d'une salle multimédia au Centre National d'Appui à l'Action Pédagogique (CNAAP) a été mise sur pied dans le cadre d'un projet visant l'alphabétisation technologique des enseignants du Cameroun.
  •    La création d'une filière de formation des enseignants en informatique dans les Écoles Normales Supérieures du pays.
  •    La construction d'une salle multimédia dans tous les établissements secondaires du Cameroun grâce à l'instauration d'une contribution obligatoire de 5 000 FCFA exigée aux parents de chacun des élèves.

Comme le souligne un étudiant, le processus d'instauration de politique de soutien est jeune, mais il suit son cours.

Support venant du contexte externe

En résumé, pour arriver à une intégration pédagogique effective des TIC, des politiques et des mesures incitatives doivent être établies à tous les niveaux (national, régional et local) pour soutenir les programmes de développement professionnel des enseignants et les établissements scolaires. Ce support et cette cohésion dans les opérations sont nécessaires pour l'atteinte des objectifs du curriculum et des standards en matière d'utilisation des TIC à des fins d'apprentissage.

À la lumière des discussions dans le Knowledge Forum, nous pouvons dire que les étudiants voient que le soutien d'un contexte externe à l'initiative locale peut s'exprimer de bien des façons. Il peut être financier, humain, technique ou matériel. Pour les participants des communautés d'apprentissage, l'État semble tout désigné pour soutenir les projets et plans d'action locaux à leur arrimage aux normes internationales d'intégration pédagogique des TIC par la mise sur pied de politiques et de plans stratégiques. Pour ce faire, il est essentiel que toutes les strates de l'État doivent être impliquées et qu'elles coordonnent leurs actions. À l'intérieur des discussions des étudiants, on y voit également d'un bon œil l'apport d'acteurs extérieurs comme les organismes non gouvernementaux (ONG), les institutions académiques ou les partenaires du secteur privé. Toutefois, ce soutien extérieur en matière d'expertise ou de financement ne doit pas se faire au détriment de la vision partagée développée par les acteurs locaux. Les projets d'innovation ont tout à gagner en apprenant et en s'inspirant des expériences en matière d'utilisation pédagogique des TIC pour arrivées au développement de projets adaptés aux différents contextes locaux. Les étudiants sont d'avis que ces partenariats sont nécessaires, mais qu'ils doivent être établis de manière à viser l'autonomie des acteurs locaux.

Les suites des projets

Une participante du cours TEN-7028 nous a fait part de la pertinence de cet exercice de construction d'un plan d'action. En effet, à l’intérieur de ces fonctions d'encadreur des enseignants du système éducatif camerounais, elle a depuis réinvesti à plusieurs reprises ses compétences développées au sein de la communauté d'apprentissage. Elle travaille d'ailleurs à l'élaboration d’un projet visant la création d'un espace numérique et muséographique autour des ressources éducatives pour permettre aux enseignant(e)s de s'initier à l'intégration des TIC dans une situation d'apprentissage. Ce projet démarrerait avec les membres de l'Association des enseignant(e)s camerounais(e)s pour l'École moderne (AECEMO).

Plus à venir...

Références bibliographiques

Bielaczyc, K., & Collins, A. (1999). Learning Communities in Classrooms:

            A Reconceptualization of Educational Practice. In C. M. Reigeluth (Ed.) Instructional-design theories and models:

A new paradigm of instructional theory (pp. 269-292.), 2. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.

Singh, H. (2003). Building effective blended learning programs. Educational Technology , 43 (6), 51–54.

Wenger, E. (2005). La théorie des communautés de pratique (adapté et traduit par F. Gervais). Québec, QC : Presses de l'Université Laval.